8.5.06

va-et-vient

D’habitude elle part la première, une prérogative qu’elle réclame pour se donner une illusion de maîtrise, car elle sait que l’égalité est instable, qu’il faut la reconstruire continuellement. Aujourd’hui cependant, elle a ressenti une soudaine indifférence. On part, on revient, a-t-elle pensé, mais réellement on ne va nulle part. Déjà dans la rue pour venir elle avait eu l’impression de marcher sur deux chemins différents, elle avait eu peur qu’ils s’éloignent, elle s’imaginait perdue, sans destination.
Il n’a rien remarqué de sa distraction et rien ne s’est passé. C’est-à-dire, tout s’est passé normalement. Elle était juste un peu maladroite en se déshabillant, mais il l’a aidée et leurs caresses ont commencé comme ça. Si aujourd’hui il est parti le premier, c’est elle qui l’a décidé, par son indécision. Elle n’a rien à lui reprocher. Son impassibilité l’a dérouté au début, puis il a ri. Il s’est peut-être flatté de la voir rêveuse. Enfin il a dit, je dois y aller, presque en s’excusant. Lorsqu’il l’a embrassée, ses vêtements ont frotté contre sa peau d’une façon beaucoup plus impudique que son corps ne le faisait. Elle ne s’est jamais sentie plus nue.
Elle l’a vu sortir sur le trottoir. Il a hésité avant de lever les yeux pour chercher la fenêtre. Au moment où il l’a repérée, elle s’est cachée. Depuis, elle n’a pas bougé du fauteuil, d’où elle suit intensément le va-et-vient de la rue. Ses yeux sont secs, froids, comme si la vitre était devenue leur membrane conjonctivale. De temps en temps elle sent l’air sur sa peau. Elle a la sensation d’avoir un corps massif. Elle sait qu’elle devrait partir, mais n’arrive pas à se décider. Elle se promet de se rhabiller dès que la rue sera vide, quand il n’y aura aucun mouvement. Elle ne sait pas si elle est triste ou heureuse, et elle se dit que c’est peut-être ça, le plaisir. Elle imagine qu’elle pleure et que tous les gens qui s’affairent en bas sont des larmes qui coulent sur son visage.

Derek Munn