8.5.06

J'attends

J'attends. Ca fait bientôt deux ans que j'attends, à poil devant ma fenêtre. Je connais pas Gérard Godot mais j'imagine que ceux qui l'attendaient, ont dû ressentir à peu près la même chose que moi. Qu'est-ce qu'on s'emmerde, devant une fenêtre à poil, je donne sur une impasse. La seule personne que je vois passer, c'est la mère Chat. La mère chat vient nourrir trois fois par semaine une horde de mal poilus, étiques et griffés, et elle leur parle, longuement avec parfois dans la voix des reproches. Je crois qu'elle est encore plus dingue que moi qui, depuis deux ans, du moins, n'ai pas ouvert la bouche.
C'était un matin de printemps. Il faisait légèrement beau, comprenez que la brise était douce, le soleil tamisé dans un ciel presque transparent. On venait de faire l'amour, ses yeux étaient gris, je me souviens, et il ressemblait à un chat. Pas à ceux de l'impasse, non, à un chat heureux et tranquille, gai sous le soleil renaissant. Sa mère, une encordonneuse de première, était morte aux premiers jours d'avril, une longue maladie bizarre, une sorte de sida des vieux, et surtout, surtout, le divorce avec sa femme venait d'être prononcé, elle gardait la maison avec le labrador et l’argenterie. La route était immense et vide, devant nous. C'est ce qu'il m'a dit, ça, et habille toi pendant que je vais chercher des cigarettes. Moi, j'ai traîné au lit puis je me suis assise nue devant la fenêtre, pour l'attendre, et agiter la main avec mes seins, quand je l'aurais vu arriver. Depuis, depuis deux ans donc, j'attends. J'attends, à poil devant ma fenêtre, car quoique vous en pensiez, on n’aime qu'une fois dans la vie.

Marie Chotek