8.5.06

Betty, Léa, Sandy, ou une autre…

Je sais ce qu’elle pense

Il avait promis de divorcer, maintenant qu’il l’avait rencontrée. Il prétendait n’être resté jusqu’alors avec sa femme que pour les enfants, mais bien sûr leur couple était fini depuis longtemps, disait-il, et cette rencontre merveilleuse lui permettait de se libérer de l’emprise, ma chérie, qui n’avait que trop duré. Oui, il n’avait que trop tardé, assurait-il, reconnaissant complètement sa part de lâcheté, et le délice venimeux de la routine dans cette vie qui n’était plus qu’un écho de la vie, et dont il allait enfin s’affranchir. Il allait divorcer, sa décision était prise. Tu me donnes le courage, disait-il, tu me rends mon avenir. Mais que signifiaient ces aveux, toute cette contrition dont il se délectait, et les projets cotonneux dont il les assortissait ? Chaque jour, il prenait la décision, la décision ferme, il le répétait, il le rappelait au téléphone, et dans leurs étreintes aussi, mais les jours passaient, tous aussi décisifs, tous aussi dérisoires. Il m’a menti, m’a menti tout le long, du premier jour tout ça n’a été qu’un long mensonge. Tous ses cadeaux de pacotille pour me faire accepter les nuits à l’hôtel, au lieu d’une maison qui aurait été la nôtre, et où j’aurais été sa femme, sa vraie femme jusqu’au fond du lit. Et ces dîners aux chandelles, interrompus par le téléphone qui le rappelait dans cette maison qu’il prétendait ne plus supporter, et vouloir quitter à chaque instant de la nuit et du jour, pour n’être plus qu’avec moi. Mensonges ! Mensonges les lendemains, mensonges les matinées de langueur dominicale. Je n’ai rien eu d’autre que les rendez-vous entre deux rendez-vous, une vie entre deux vies, perdue à l’attendre, à le croire, à espérer. Je me suis fait avoir comme toutes les autres, voilà ! Voilà !
Oui, je sais ce qu’elle pense. Je suis certain qu’elle est encore assise dans le fauteuil, face à la fenêtre, comme je l’ai trouvée tout à l’heure en me levant. Pareillement nue, pareillement vide. Certain de la trouver comme cela, dès que j’ouvrirai cette porte, la porte de la salle de bains. Rester une seconde encore assis au bord de la baignoire… Le moment pourrait être paisible…. Mais comme cette lumière me blesse, ici dedans. Comme ce miroir est agaçant, dans cet espace trop petit. Cet hôtel est vraiment le pire de tous, elle aurait raison de le dire. Je m’y sens rétréci de partout. Il faut que je sorte de cette pièce. Mais aller la retrouver, pareille, inchangée, mutique et immobile comme un reproche ? Et comme cette porte est lourde à passer ! C’est la poignée qui me dégoûte. Ah ça oui, je sais bien ce qu’elle pense ! Il suffirait d’avoir le courage. Il suffirait juste d’avoir le courage…
Dehors, le vent agite doucement les jeunes feuilles écloses sur les branches printanières. Au-delà des toits, bien que le jour d’ocre lumineux en masque l’éclat, des myriades d’étoiles suivent des trajectoires que l’homme ne sait mesurer qu’à des échelles relatives. Souvent, les amoureux observent ces choses, et y trouvent un sens transi de bonheur. Mais en cet instant, dans cette chambre coupée en deux par la porte des amours fanées, où tout n’est que sombre contingence, le monde s’est fermé sur lui-même et plié aux contours d’un vieux fauteuil abandonné de toute parure. Il n’y a rien d’autre à faire que laisser glisser ce temps qui ne passe pas. Et puis elle se rhabillera..

Max Marcuzzi